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DiscorsoPubblicato il 14 dicembre 2025

L’Escalade, métaphore historique d’une ville en pleine ascension

Ginevra, 14.12.2025 — Allocution de M. Guy Parmelin, Conseiller fédéral, Chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) à l’occasion de la Fête de l’Escalade 2025

Monsieur le Président,

Monsieur le Président du Conseil d’Etat,

Madame la Présidente du Grand Conseil,
Mesdames et Messieurs les membres des autorités fédérales, cantonales et communales,
Messieurs les Vieux Grenadiers,
Mesdames et Messieurs les invités,

Chers amis de Genève et de son histoire,

Mon épouse et moi-même revenons pour la seconde fois en quinze jours dans cette belle ville de Genève, et les deux fois à la rue de Carouge. Vous pourrez donc en conclure que ce ne sont pas les bouchons qui effraient le vigneron…

Il y a deux semaines, en effet, j’étais venu me voir sur scène en personne à la Revue genevoise. Je me suis d’ailleurs trouvé assez bon comédien. Et nous avons aujourd’hui le plaisir d’un autre spectacle, plus fastueux, plus solennel, à la vénérable enseigne de la Société des Vieux Grenadiers. Soyez chaleureusement remerciés de votre invitation et de votre hospitalité.

Je mesure, croyez-le bien, le privilège d’un tel accueil. Et je ne dis pas cela parce que je fais figure de réfugié économique en arrivant dans votre opulente république depuis un canton qui prévoit plus de 300 millions de déficit pour l’an prochain. Je le dis simplement parce que je sais la fête de l’Escalade chère au cœur des Genevoises et des Genevois.

Votre société figure au premier plan de ce tableau historique et aux avant-postes de la plupart des grands événements officiels de ce canton. Comme d’autres, elle ne saurait être réduite à une survivance du passé : elle est au contraire la gardienne bien vivante d’une mémoire, comme ses membres sont les témoins non moins vigoureux d’une époque où l’engagement personnel était la pierre angulaire de la défense de la liberté et de la paix.

D’une certaine manière, et n’était l’absence de femmes dans vos rangs, je serais tenté de voir dans la Société des Vieux Grenadiers la vestale de l’âme genevoise, et cela depuis maintenant 276 ans, si je suis bien informé.

J’ai découvert que les raisons exactes ayant présidé à l’avènement de votre société ne nous sont pas connues. En revanche, le contexte l’est davantage. Encore très marquée par le calvinisme, la société genevoise du dix-huitième siècle vit sous le contrôle moral strict de la Compagnie des pasteurs. On n’y parle guère de politique, le jeu y est proscrit et la consommation de vin perçue comme une abomination. Dieu merci, si j’ose dire, le Cercle des Grenadiers est venu opérer une percée dans ce climat d’austérité, qui aurait pu nous priver à tout jamais du plaisir des Genfereien et des excellents crus du Mandement.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi sans flagornerie de faire devant vous une déclaration d’amour : j’aime Genève. C’est un secret de Polichinelle : j’y compte de nombreux amis. Lors de ma première présidence, en 2021, j’y ai même fait la connaissance d’un Américain encore vaillant et d’un Russe encore fréquentable, et je ne vous cache pas que pour la santé du monde, je serais heureux de pouvoir remettre le couvert l’an prochain.

J’aime Genève et ses charmes : le jet d’eau de Genève, la rade de Genève et son lac – le lac Léman, bien entendu –, majestueuse piscine majoritairement vaudoise dont j’aime à dire que Genève n’est guère propriétaire que du robinet de vidange.

Enfin, j’aime Genève et ses spécialités. Véritable terre de délices pour un ministre de l’Agriculture, on y trouve longeole IGP, cardon épineux AOP et tant d’autres produits, vinicoles notamment, issus d’un terroir authentique et généreux qui valent plus que le détour : un amoureux abandon.

Et dire que ce soir nous saluons une résistance stratégique, populaire et spirituelle sans laquelle les charmes que j’évoque ne seraient probablement pas suisses, mais français.

Car oui, imaginons l’espace d’un instant que cet élan collectif du 11 au 12 décembre 1602 n’ait pas eu lieu, que Genève soit restée profondément endormie comme l’espérait le duc Charles-Emmanuel 1er et que la petite République trop indépendante et trop protestante tombe dans l’escarcelle de la Maison de Savoie.

Si je me livre à l’exercice d’une improbable uchronie, nous aurions vu Genève savoyarde, puis piémontaise et enfin française. Et peut-être auriez-vous ainsi invité aujourd’hui M. le Premier ministre Sébastien Lecornu pour vous parler du développement du Grand Genève, cette belle ville de Haute-Savoie jadis libérée des griffes des prédicateurs protestants, à moins que vous n’ayez préféré accueillir M. le Président de la République en personne pour l’inauguration en grande pompe du tunnel sous la rade…

Plus sérieusement, sans le morceau de bravoure du Maître des batailles, comme le désigne votre hymne officiel, Genève serait probablement devenue une ville secondaire, quand elle est aujourd’hui, par le génie de l’histoire et de ceux qui l’ont ici façonnée, un pôle commercial de première force, une place financière majeure, un temple de la haute horlogerie ainsi qu’une capitale de la diplomatie multilatérale, des droits de l'homme et de l'aide humanitaire.

Au fond, l’Escalade est une métaphore historique de l’ascension de cette ville et de ce canton. La sonnerie de la Clémence, la herse d’Isaac Mercier, la célébrissime marmite de Catherine Cheynel, toute cette scénographie donne certes à l’événement des couleurs épiques et romanesques. Mais ne nous y trompons pas : cet épisode est décisif, fondateur pour cette ville et pour notre Confédération, qui peut sans conteste s’ennoblir de compter Genève au nombre de ses cantons. Notre pays ne serait assurément pas le même sans le bénéfice du rayonnement d’un Guillaume Dufour, d’un Henry Dunant ou d’un Gustave Ador, pour ne citer qu’eux.

Je tire trois enseignements des événements que nous commémorons aujourd’hui. D’abord, que le courage n’est pas tant l’absence de peur que l’accomplissement du devoir. La « rébellion ménagère » de la Mère Royaume souligne que les Genevois de 1602 n’étaient pas des héros programmés, ni des professionnels de la guerre. Ils étaient artisans, notables, soldats, pasteurs, femmes et enfants, mus par l’idée que la liberté n’est jamais gratuite.

Le courage n’est pas un muscle, c’est une tournure d’esprit, un trait de caractère, un sursaut parfois. Il consiste à s’engager pour la défense de ses valeurs, pour celle de son intégrité personnelle ou territoriale.

Deuxième enseignement, l’indépendance est un bienfait, qu’on l’analyse sous l’angle institutionnel ou au fil de notre propre développement individuel. Être indépendant, pour un être humain comme pour un pays, c’est être capable de décider pour soi, de s’assumer, d’avoir la capacité de faire des choix libres et éclairés. Il me paraît que cette indépendance n’a rien à voir avec le repli, la frilosité ou l’isolement. C’est au contraire une manifestation de l’estime de soi, l’expression de la confiance et la claire conscience de ses forces et de ses limites. Il me plaît, sous ces traits, d’imaginer indépendantes aussi bien Genève que la Suisse.

Enfin, troisième enseignement, l’unité est une force en soi. Les Savoyards avaient pour eux les armes, la stratégie, l’effet de surprise. Les Genevois avaient la cohésion. Et cette cohésion-là, aucune échelle assez haute n’aurait permis de la surpasser.

L’unité est un phénomène mystérieux : elle ne se décrète pas, elle s’entretient. Elle se nourrit de traditions, de liens historiques, d’un sens perçu comme commun au-delà des différences et des individualités. C’est elle qui a véritablement remporté la victoire au matin du 12 décembre 1602 et c’est cette unité qui constitue sans nul doute l’assise de votre société.

Chers Vieux Grenadiers,
Mesdames et Messieurs,

Aux yeux des Genevois, le Vaudois est une âme simple, occupée à labourer son champ, un voisin « rupestre » comme l’analysait avec une perspicacité préhistorique l’un de vos anciens maires. C’est vrai que, vu de Lausanne, franchir la Versoix constitue pour certains d’entre nous une expérience culturelle équivalant à la traversée du Bosphore.

Parée de mille vertus, terre de beauté et de délices, mélange subtil et discret de prestige et d’apparat, Genève est volubile, mais elle sait néanmoins rester modeste. « La modestie, écrivait jadis l’étincelant chroniqueur Aurélien Scholl, c’est la housse du talent. » Genève possède cette housse, mais il peut arriver à sa fermeture éclair de se gripper parfois…

La Suisse ne serait pas la Suisse sans Genève, et Genève ne serait pas Genève sans l’Escalade. Cette prouesse n’a pas fait que révéler cette cité indomptable et son tempérament frondeur. Il lui a conservé son intégrité et celle de ses qualités : sa fibre universaliste, une certaine esthétique de la sobriété – si vous me permettez cet audacieux oxymore – une éthique du devoir, un civisme exigeant.

Vous assurez, Mesdames et Messieurs, dans les éminentes fonctions institutionnelles et associatives qui sont les vôtres, la perpétuation de ces qualités. Vous êtes, d’une certaine manière, les sentinelles de cet esprit de Genève : celui d’une communauté libre qui ne dort jamais que d’un œil et pour qui la lumière finit toujours par percer les ténèbres.

Je me réjouis de passer ces quelques heures en votre compagnie et vous remercie de m’offrir cette parenthèse chamarrée au milieu d’un agenda politique souvent plus terne.

Longue vie à la République et canton de Genève, longue vie à la Société des Vieux Grenadiers !

Merci de votre attention.